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La tragédie humaine

Dernière mise à jour : 25 avr. 2019

Lundi 15 avril 2019, comme beaucoup de gens, j'observe à travers la télévision, impuissant, le toit d'un monument chargé d'histoire qui part en fumée. Je suis touché par ces images, je suis triste mais c'est aussi cela l'histoire, ce sont les événements qui alimentent et font la légende d'un monument. Dans les livres, on pourra lire que c'était le jour où le toit de Notre-Dame de Paris à brûlé. Dans ces mêmes livres, on pourra lire toute l'histoire de ce monument, depuis le jour où il a été construit au XIIE siècle. Un édifice peut bien être détruit, son histoire lui survit. L'histoire a pour elle de ne jamais mourir, d'être éternelle, si on l'écrit, si on la lit, si on la raconte.


Mais le vrai drame ce n'est pas ça, ce n'est pas de voir le toit de Notre-Dame de Paris qui brûle. Le drame, c'est de constater qu'on va mettre des moyens "de dingues" pour le reconstruire, des moyens qui ne serviront pas à aider les gens qui en ont terriblement besoin, des moyens qui auraient pu servir non pas à préserver l'histoire mais à sauver des vies. C'est ça le drame, c'est lorsqu'un monument a plus de valeur que la vie des hommes, même un seul. Un milliard d'euros pour reconstruire un toit qui n'abritera personne, un milliard d'euros pour sauver l'histoire, un milliard d'euros pour la maison de Dieu.


Je ne crois pas en Dieu, ma perception des choses ne me le permet pas. Il y a pourtant des personnes qui ont voulu m'aider à y croire, qui ont voulu m'apporter la foi et qui, pour se faire, ont utilisé comme principal argument que Dieu est miséricordieux. Et je n'y étais pas insensible. Je pensais que la miséricorde, c'était la capacité à être concerné par le malheur d'autrui, la capacité d'attraper la main de celui qui la tend, la capacité à venir en aide à celui dont la vie même en dépend. Je pensais que ce Dieu voulait qu'on aime son prochain avant même ses églises et ses cathédrales et, à défaut de croire en lui, je partageais les mêmes valeurs humanistes, pas matérialistes, mais visiblement, je pensais mal, une nouvelle fois j'étais dans l'erreur. Et si Dieu existe vraiment, il doit être bien malheureux de constater que l'homme n'a toujours rien compris, que son fils avait raison il y a 2000 ans : "ils ne savent pas ce qu'ils font". Si Dieu existe, les hommes le tuent !


Rendez-vous compte, en quelques jours, en quelques heures, les dons affluent. Certains y vont même à coup de centaines de millions d'euros. On arrive à plus d'un milliard... 1000000000 € ! Pas facile de compter les zéros tellement il y en a. Pourtant, pendant des années, les nécessiteux ont toujours entendu dire qu'il n'y avait pas d'argent, pas de moyens pour les aider, qu'on pensait bien à eux mais qu'ils devraient accepter leurs propres conditions qu'on n'accepterait d'ailleurs pas pour nous-mêmes. Tout ça pour construire un toit, un seul, encore une fois : qui n'abritera jamais personne. C'est de la folie ! Au nom de l'histoire, au nom du patrimoine, au nom de Dieu !


J'adore l'histoire, j'en suis féru. Savoir ce qu'il s'est passé, les conséquences belles ou dramatiques des événements, sur quoi se bâtit une civilisation avec ses réussites et ses erreurs, ses horreurs parfois, être fort de comprendre les causes du présent et, comme pour les gens d'ailleurs, comment en est-on arrivé là ? L'histoire est une richesse mais malgré cela je ne peux pas accepter, pas même tolérer quelle surpasse la vie présente, la vie tout court.


La route de l'histoire de France, tout comme celle du monde, est, hélas, pavée de drames et d'horreurs, la shoah, l'esclavage, les attentats... pour paraphraser Primo Levi, tout ce que les hommes ont pu faire à d'autres hommes. La route de l'histoire a ses pavés tâchés de sang. Et justement, dès l'école primaire, on nous vend l'histoire comme un devoir de mémoire, pour ne pas oublier, pour connaître les cheminements et les raisons qui ont entraîné l'impensable, l'inimaginable, l'inhumain, pour être capable de ne pas les reproduire. L'histoire c'est le passé qui doit protéger notre futur de la répétition de ces horreurs. L'histoire est une leçon qui doit permettre de préserver des vies et c'est pour ça qu'elle est fondamentale pour l'avenir.


Mais reconstruire l'histoire d'un monument, qui a brûlé, à coup de milliards d'euros, au détriment de vies humaines, qui disparaîtront sans qu'on se souvienne qu'elles ont existées, mais que ce milliard aurait pourtant sauvées, c'est de l'hypocrisie, c'est cracher sur l'histoire elle-même, c'est transformer celle qui devait nous protéger en meurtrière. Nous sommes des assassins, tout au mieux des complices. L'histoire n'a pas besoin d'être reconstruite pour revivre, il suffit de l'écrire, de ne pas l'oublier grâce aux livres, de la raconter, mais la vie... la vie ne se reconstruit pas. La vie n'est pas éternelle, la mort si.


Alors j'ai entendu de ci, de là : "Oui mais Notre-Dame, c'est l'histoire de France, ce sont des siècles d'histoire de la religion catholique, c'est même le patrimoine mondial"... Alors c'est ça, c'est le privilège français, c'est le privilège des pays riches, notre argent d'abord pour nous, nos monuments, notre histoire, notre patrimoine... et le monde, le reste du monde, il peut crever, on a plus d'argent, on a tout dépensé. Et les catholiques ? Foutu donneurs de leçons, comme toutes les religions somme toute : "aime ton prochain", "tu ne tueras point", "pardonne"... blablabla... remarquez, on peut avoir tout donné pour sa cathédrale et aimer son prochain. Aimer n'est pas donner. On peut ne pas tuer mais laisser périr... et se pardonner les uns les autres, entre nous, entre privilégiés. Je m'incline, je baisse la tête pour ne pas montrer que je pleure, abasourdi devant l'absurdité.


Avec cette cathédrale, on me parle du patrimoine mondial, mais le monde... il meurt, il a faim, il a soif, il a besoin de soins, il a besoin d'écoles, il a besoin de tout mais pas qu'on retape des monuments... Il souffre le monde. Nous qui sommes privilégiés, nous qui sommes bien nés, nous qui avons tiré le gros lot au loto de l'univers, nous n'avons pas le droit d'oublier que la plupart des vies qui peuplent la même terre que nous ne connaissent que la misère de leur premier à leur dernier souffle. Et toutes ces âmes qui souffrent doivent être bien contentes qu'on refasse le toit d'une cathédrale, cela va les aider, cela va les réconforter. Et à leur place, que penseriez-vous ? Hein ? Trouveriez-vous cela juste ? En toute sincérité. Mais tout va bien, vous n'y êtes pas à leur place. Dieu merci ! Ils n'ont rien à bouffer et nous, on est tellement riche qu'on en bouffe même l'argent.


La vérité est bien moche, parce que si on reconstruit cette cathédrale, c'est surtout au nom du commerce, au nom de la défiscalisation, au nom de l'homme. Et ceux qui ont les moyens de donner des centaines de millions d'euros ce n'est pas un don qu'ils font, c'est un placement. Ce monument rapporte beaucoup d'argent, surtout à ceux qui en ont sûrement déjà trop. Avec tout ça, c'est Dieu qu'on a trahi, c'est l'histoire qu'on a bafouée, c'est l'homme qu'on a abandonné. Je voudrais m'adresser à tous ceux qui souffrent, à tous ceux qui viennent de comprendre et constater que leur vie, dont on rabâche qu'elle n'a pas de prix, a finalement moins de valeur qu'un monument. A tous ceux-là, je demande pardon. Je ne cautionne pas ce que font mes semblables. Je ne peux pas me résigner à soutenir qu'on répare un monument quand je sais que vous mourez. Je ne meurs pas avec vous, je suis trop riche et trop lâche pour ça, mais je pleure avec vous.


Dans cet océan de tristesse, rempli par vos larmes, j'essaie de ne pas me noyer. Et pour garder la tête hors de l'eau, je me mets à imaginer ce que sera l'homme dans des siècles. Je me dis qu'un jour, il deviendra grand, bienveillant, sincère, humaniste... que le vrai Dieu miséricordieux ce sera l'homme lui-même. Et dans les écoles du futur, l'histoire enseignera qu'au XXIE siècle, on préférait refaire des monuments avec des moyens qui auraient pu sauver des vies. Ils parleront de nous comme nous parlons du Moyen-Âge ou des barbares, nous serons leur Moyen-Âge, leurs barbares. Et dans les cours de mathématiques on devra résoudre le problème suivant : "Sachant qu'avec 150 €, je nourris une personne pendant un an, combien de personnes je peux nourrir pendant dix ans avec 100000000 d'euros?". Il y a tellement de zéros que vous n'avez même pas vu qu'il en manquait un pour faire un milliard !


Voilà, c'est mon rêve, ce sont certaines de mes valeurs. C'est ce monde d'abord humaniste que je veux et c'est cette histoire qui me plaît. L'histoire qui raconte tout ce qu'on a mal fait pour ne plus le refaire. Mais, ne vous y trompez pas, j'ai bien compris que l'homme ne deviendra jamais comme dans mes songes. Il n'y a plus d'espoir, il n'y en a jamais eu. Et vous qui m'avez lu, vous savez maintenant que la vie a un prix. Vous le saviez déjà probablement avant, vous saviez aussi que certaines vies avaient plus de valeur que d'autres. C'est l'humain, c'est l'absurdité humaine. Nous venons tous de voir que même des monuments avaient plus de valeur que des vies... mais comme ce n'est pas notre vie qui est en jeu, ce n'est pas très grave. Moi, conscient de ça je porte votre croix en plus de la mienne.


Et quand le toit de votre cathédrale sera reconstruit, ne comptez pas sur moi pour grimper dessus avec vous et de là-haut contempler la misère du monde que vous avez laissé à l'abandon. Je ne veux pas être un barbare...


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